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L'Olivier
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19 mars 2009

Une journée à Hébron

J'avais déjà publié cet article sur l'ancienne version du blog. Je le poste à nouveau ici parce que j'ai été profondément marquée par la situation particulière d'Hébron. Je précise aussi, au sujet de cette catégorie du blog que je consacre au récit de mon voyage en Palestine, que je ne publie pas les articles en fonction d'un quelconque ordre chronologique mais plutôt en fonction de mes inspirations, d'ailleurs connaître mon emploi du temps exact n'est pas primordial ici!...

Topo rapide sur la situation fi'l-Khalil

Hébron n'est pas une ville palestinienne ordinaire. Ici, les colonies ne pullulent pas seulement à l'extérieur, mais aussi à l'intérieur de la ville, rendant la situation irrespirable pour les habitants palestiniens. D'ailleurs, ici, les colons eux-mêmes ne sont pas des colons ordinaires. Si ailleurs en Cisjordanie, les colons sont poussés à s'installer dans les Territoires plus par les avantages économiques que cela offre que par une idéologie ouvertement anti-palestinienne, les colons d'Hébron, eux, sont là pour des raisons avant tout religieuses, la ville étant un haut lieu du Judaïsme [je reviendrai un peu plus en détail sur les différents colons dans un autre article parce que là, j'ai quand même simplifié à l'extrême...].
Ce sont des intégristes, qui voudraient voir toute la Cisjordanie revenir à Israël. Ils se baladent l'arme à la main et ne font aucun effort pour la cacher, jettent des pierres sur les internationaux venus se rendre compte de la situation écoeurante, et bien-sûr, ne se gênent pas pour agresser hommes, femmes et enfants, ayant une préférence pour les écoliers ou les bergers et leurs troupeaux. En toute impunité.

La journée

Nous arrivons dans la matinée. De prime abord, Hébron ne semble pas vraiment différente d'une autre ville de Cisjordanie. Mais dès qu'on atteint la Vieille Ville, quelque chose change. L'atmosphère se fait de suite plus tendue ; on aperçoit les barbelés qui séparent les rues en deux, les mini bases militaires "persos" installées par les colons sur le toit des maisons volées aux palestiniens, les caméras de surveillance, les soldats israéliens, les magasins fermés, les grillages installés au-dessus des rues pour protéger les palestiniens des pierres et des détritus divers que leur jetaient les colons installés aux étages.
Nauséabond.
On découvre l'ancienne grande rue commerçante de la ville. Fermée, tout comme l'intégralité de ses magasins. Un mur doté d'une porte blindée, donnant sur un quartier colonisé de la ville, l'a asphyxiée jusqu'à la mort. En tout, à Hébron, ce sont 1400 magasins qui ont fermé, dont 400 sur ordre militaire. Volons la Terre des autres, attaquons-nous à l'économie d'une ville, dépossédons les jusqu'à l'os... 
Abasourdis, nous montons ensuite sur la terrasse de la CPT (Christian Peacemaker Team), une association chrétienne qui s'occupe, entre autres, d'accompagner les enfants pour éviter qu'ils se fassent agresser sur le chemin de l'école. Ici, nous découvrons Hébron vue d'en haut. Nous ne tardons pas à voir aussi les quatres bases militaires qui entourent la ville, la colonie de Kiryat Arba, les routes interdites aux palestiniens (qui risquent la mort si jamais ils s'y aventurent), les colons armés et les centaines de maisons construites illégalement sur des terres palestiniennes.
On écoute le jeune militant de l'assoc' nous parler de la situation -pire encore!- dans les villages qui entourent Hébron, puis nous décidons de redescendre afin de visiter la mosquée qui abriterait le tombeau d'Abraham.
Dans la rue, des soldats israéliens ont décidé de bloquer le passage et d'empêcher les palestiniens d'avancer. Dès qu'ils voient que nous sommes des internationaux, ils arrêtent leur petit jeu. Je les dépasse et en profite pour les regarder de haut. Ca ne sert pas à grand-chose, mais je ne peux m'empêcher de leur montrer quel degrés de mépris ils m'inspirent à ce moment précis..
Nous continuons d'avancer. La Vieille Ville d'Hébron est magique. Elle pourrait être un des joyaux de Palestine si elle ne souffrait pas de l'occupation. Nous nous promenons émerveillés dans les ruelles ombragées. Tous les propriétaires des magasins ouverts que nous voyons sont des résistants: ils ont plusieurs fois reçu l'ordre de fermer boutique, mais ont toujours tenu bon...
Nous marchons en direction de la mosquée et nos yeux sont attirés par des étoiles de David dessinées et des inscriptions en hébreux sur les murs. Des insultes et des slogans anti-palestiniens "ornent" de long en large les étroites ruelles de la Vieille Ville. 
Nous arrivons au check-point de la mosquée, que nous passons sans difficulté. Avant de le traverser, nous apercevons une rue fermée aux véhicules. On nous explique que les palestiniens ont le droit de la traverser sur une vingtaine de mètres pour rejoindre leur quartier, risquant toujours les attaques des colons qu'ils croisent sur leur chemin.
En sortant de la mosquée, nous décidons d'emprunter nous-même cette rue. En nous dirigeant vers le check-point qui en contrôle l'accès, une coordinatrice du groupe nous explique qu'une des plus importantes école palestinienne de la ville se trouve dans ce fameux quartier et que chaque matin, les soldats du check-point s'amusent à retarder les enfants, qui risquent ensuite de se faire agresser par les colons fous furieux croisés dans la rue.
Au check-point, les soldats laissent passer les européens sans même contrôler nos visas, mais bloquent tous les palestiniens. Ils ont décidé qu'ils ne passeraient pas, sans donner de raisons, pour changer...
Le groupe d'occidentaux arrivés à la sortie du check-point se fait insulter par des colons, et repart en arrière: si les palestiniens ne passent pas, personne ne passera...
Le problème, c'est que les soldats israéliens gardent les cartes d'identité des palestiniens et refusent de les laisser quitter le check-point. Ils les font attendre dans un coin sans ombre et demandent aux européens de partir. Nous refusons, mais les palestiniens nous conseillent d'obtempérer si nous ne voulons pas que les choses s'enveniment.
Ok, nous partons. Mais nous n'allons pas très loin, histoire d'attendre nos amis. Les militaires les gardent 30 minute, sans aucune raison, juste pour montrer que c'est eux qui ont le contrôle...Nous les voyons enfin retraverser l'entrée du check-point. Je suis sur le choc. Indignée, mais frappée par la réaction des palestiniens qui ne perdent ni de leur humour, ni de leur sourire, ni de leur convivialité alors qu'ils viennent d'être humiliés: traités comme du bétail, forcés d'attendre au soleil et sans eau que les soldats daignent leur donner l'autorisation de repartir en arrière et de quitter cette rue de l'horreur.

Nous partons ensuite à la rencontre d'un khalili (habitant d'Hébron) d'une cinquantaine d'années qui va nous faire découvrir sa ville. Cet homme, ouvert et pacifiste, prône la résistance non-violente et voit deux issues possibles au conflit: soit la création d'un seul Etat, où israéliens et palestiniens, ou plutôt juifs et arabes, seraient réellement égaux, soit la création d'un Etat Palestinien sur les frontières de 1967 avec Jérusalem-Est pour capitale et, bien-sûr, le démantèlement total des colonies.
Il nous emmène d'abord sur la terrasse d'un de ses amis, de laquelle nous avons une vue imprenable sur la colonie de Kiryat Arba et sur les techniques utilisées par les colons pour s'approprier toujours plus de terres palestiniennes. La maison d'en face est d'ailleurs occupée par des colons: nous les sentons nous observer derrière leur fenêtre et nous détournons délibérément les yeux pour ne pas croiser les leurs. Bande de fanatiques!
L'homme nous parle de la situation au quotidien pour les palestiniens, de ces familles expulsées de chez elles par des colons ultra-religieux, mais il a à peine le temps de commencer que l'armée israélienne nous demande de quitter les lieux.  Est-ce que nous menacions la sécurité d'Israël en observant de loin des extrémistes religieux installer des tentes sur des terres palestiniennes afin d'agrandir leur colonie (tout en astiquant leurs mitraillettes...) et en écoutant les sages propos d'un militant pour la paix, ou est-ce que ça devenait gênant que des étrangers puissent témoigner de tout ça dans leur pays?
Nous partons, en compagnie de notre guide qui doit à son tour nous quitter: il a été appelé par une famille palestinienne que des soldats ont roué de coups...
Nous décidons d'aller visiter Tel Rumeida, une des colonies implantées à l'intérieur d'Hébron. Nous passons le check-point sans problème, mais ce n'est qu'après, alors que les derniers du groupe se font contrôler, qu'un soldat arrive dans sa jeep pour nous dire que nous nous trouvons dans une "zone militaire fermée" et que nous devons quitter les lieux. Nous regardons autour de nous: de jeunes colons se promènent sans être embêtés. Décidément, notre présence ici dérange...
Nous repartons en arrière. Notre visite à Hébron s'achève ici. On repart à Ramallah consternés, révoltés, dans l'incompréhension la plus totale. Comment est-ce possible?
L'atmosphère ici est irrespirable, oppressante. Les palestiniens y sont humiliés, privés de leurs droits les plus élémentaires plusieurs fois par jour. Hébron est une caricature, une vitrine de l'occupation israélienne. Continuer à y habiter, ne pas céder aux pressions et à la violence des colons qui voudraient voir la ville se judaïser entièrement, c'est déjà de la résistance. Tenez-bon, justice sera rendue, 'nchallah comme on dit chez vous...

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