Pourquoi Avigdor Lieberman est la pire chose qui pouvait arriver au Proche-Orient
Par Robert Fisk
The Independent, mercredi 18 mars 2009
A peine quelques jours après avoir grondé de colère lorsque le lobby d’Israël est parvenu à chasser Charles Freeman, celui qui ne mâche pas ses mots, du poste proposé de conseiller auprès d’Obama pour les services de renseignements, les Arabes doivent maintenant affronter un ministre des affaires étrangères israélien dont – soyons francs ! – les commentaires racistes à propos des tests de loyauté palestinienne ont introduit dans le nouveau gouvernement de Netanyahou l’un des politiciens les plus désagréables au Proche-Orient.
Les Irakiens avaient produit le haïssable Saddam, les Iraniens ont
créé le dérangé Ahmadinejad – pour des raisons de bon sens, je laisse
en dehors le dirigeant étrange de la Libye – et les Israéliens ont à
présent glorifié un homme, Avigdor Lieberman, qui surpasse même Ariel
Sharon dans ce qu’il avait de pire.
Quelques Palestiniens ont exprimé leur cruel plaisir qu’au moins
l’Occident verra le « véritable visage » d’Israël. J’ai déjà entendu ça
auparavant – quand Sharon est devenu Premier ministre – et l’absurdité
habituelle sera débitée, selon laquelle seul un « extrémiste pur et dur
» peut faire les compromis nécessaires pour arriver à un accord avec
les Palestiniens.
Cette sorte d’aveuglement est une maladie du Proche-Orient. Le fait est
que le futur Premier ministre israélien a bien fait comprendre qu’il
n’y aura pas de solution à deux Etats ; et il a planté un arbre sur le
Golan pour montrer aux Syriens qu’ils ne le récupèreront pas. Et à
présent, il a introduit dans son gouvernement un homme qui voit même
les Arabes d’Israël comme des citoyens de seconde-classe.
La première visite de Lieberman à Washington vaudra son pesant d’or.
L’AIPAC – qui se fait passer pour un lobby israélien alors qu’il
travaille en fait pour le Likud – se battra pour lui et Dame Hillary
devra l’accueillir chaleureusement au Département d’Etat. Qui sait ? Il
pourrait même lui suggérer d’imposer également un test de loyauté aux
minorités américaines – ce qui voudrait dire exiger un serment de
fidélité de la part de Barack lui-même. Il n’y a aucune limite…
En Egypte, Avigdor Lieberman traversera une période difficile. Hosni
Moubarak est peut-être une poire pour les Américains, mais c’est
Lieberman, en se plaignant que le Président égyptien devrait rendre
visite à Israël ou « aller se faire voir », qui a profondément offensé
un homme qui a pris de grands risques pour maintenir son pays en paix
avec l’Etat israélien.
Les Egyptiens ont été scandalisés de lire dans leurs quotidiens que
Lieberman a parlé de noyer les Palestiniens dans la Mer Morte ou
d’exécuter les Palestiniens israéliens qui parlaient au Hamas. Hier
soir, un supporter de Lieberman a fait une apparition sur la chaîne Al
Jazeera pour décrire le Hamas comme « une organisation barbare et
antisémite » - même si des officiers militaires israéliens avaient
ouvertement parlé à ce groupe prétendument « barbare », à la fois avant
et après l’accord d’Oslo.
Mais la poussée d’une administration aussi extrémiste en Israël et la
réponse incurable de l’administration Obama aux soi-disant supporters
d’Israël qui ont détruit la carrière de Freeman, ne peuvent être que
des nouvelles de mauvais augure pour le Proche-Orient. Arab News,
dont le siège se trouve à Djedda [Arabie Saoudite], a relaté le
désastre Freeman comme « une grave défaite pour la politique étrangère
des Etats-Unis ». Mais, tout en prononçant les platitudes habituelles,
la presse arabe a monté en épingle les remarques pusillanimes de
l’attaché de presse du gouvernement américain, Robert Gibbs, interrogé
sur la raison pour laquelle Obama était « resté muet » dans l’affaire
Freeman. « J’ai observé avec beaucoup d’intérêt comment les gens
perçoivent différentes choses à propos de notre politique et, durant la
campagne, si nous étions trop proche d’un camp ou de l’autre. Je ne les
prends donc pas beaucoup en considération. » Prié de fournir « des
réponses honnêtes », Gibbs a dit : « Celles-ci sont aussi honnête que
possible ».
C’était presque aussi risible que ce qu’a écrit le New York Times,
la semaine dernière, lorsqu’il a essayé d’expliquer pourquoi Dame
Hillary avait eu peur d’offenser les Israéliens durant la formation du
gouvernement Netanyahou en décrivant la destruction de 1.000
habitations palestiniennes comme « n’apportant rien d’utile ».
Sa prudence au Proche-Orient, a expliqué ce journal, était « un reflet
du paysage traître au Proche-Orient, où une phrase déplacée peut
froisser des électeurs de retour au pays ». C’est sûr ! Et lorsque M.
Lieberman arrivera à Washington, on verra bien de quels électeurs il
s’agit.
Cependant, ceux-ci feraient bien de s’attarder sur le langage
incendiaire d’Avigdor Lieberman. Il s’exprime comme un nationaliste
russe plutôt que comme l’Israélien laïc qu’il prétend être.
J’ai couvert les massacres de Bosnie au début des années 90 et je peux
identifier le langage de Lieberman – exécutions, noyades, enfer et
serments de loyauté – avec le langage des Mladic, Karadzic et Milosevic.
Dame Hillary et son patron devraient ouvrir quelques ouvrages sur la
guerre en ex-Yougoslavie s’ils veulent comprendre à qui ils ont
désormais affaire. « Qui n’apporte rien d’utile » ne sera pas la
réponse appropriée.
Source et traduction: Questions critiques