Les langues se délient en Israël
Des témoignages fournis par des militaires israéliens ayant
participé à l'assaut sur la bande de Gaza, de décembre à janvier,
mettent à mal la version de officielle de l'État hébreu, selon laquelle
ses soldats ont agi dans les meilleurs standards de moralité.
Les soldats racontent plutôt des histoires qui mettent en évidence des
règles d'engagement permissives, ayant entraîné la mort de civils sans
défense, et des destructions de biens non justifiées.
Les témoignages en question proviennent de douzaines de diplômés d'une
académie militaire portant le nom d'Yizthak Rabin. Ils ont été publiés
cette semaine dans un bulletin d'information destiné aux diplômés et
sont repris dans les pages du quotidien Haaretz. Les récits, provenant
aussi bien de pilotes d'avion de combat que de fantassins, offrent un
rare point de vue israélien non officiel sur ce qui s'est passé à Gaza.
Dans des extraits publiés jeudi par Haaretz, un responsable d'une unité
d'infanterie raconte par exemple qu'une vieille Palestinienne a été
abattue sur ordre d'un commandant de compagnie parce qu'elle se
trouvait à moins de 100 mètres d'une maison occupée par l'armée
israélienne.
Le militaire raconte aussi avoir eu une discussion avec son supérieur
au sujet des règles d'engagement qui permettaient de « nettoyer » des
maisons en abattant ses occupants sans avertissement. Après que les
ordres eurent été changés, les soldats sous ses ordres se sont plaints:
ils voulaient « tuer tout le monde dans le centre de Gaza », sous
prétexte qu'ils « sont tous des terroristes là-bas ».
« On n'a pas l'impression que les officiers agissent selon une selon
une logique, mais ils ne disent rien. Écrire "mort aux arabes" sur les
murs, prendre des photos des familles et cracher dessus, juste parce
qu'on peut le faire. Je pense que c'est l'essentiel [du problème]:
comprendre à quel point l'armée israélienne en a perdu en terme
d'éthique. C'est ce dont je vais me souvenir le plus », ajoute le
militaire.
L'offensive israélienne contre la bande de Gaza a duré du 27 décembre au 18 janvier.
Un autre responsable d'unité d'infanterie raconte qu'une Palestinienne
et ses deux enfants ont été abattus par erreur: ils étaient évacués
d'une maison sur laquelle se trouvait un tireur d'élite avait pris
position. Les victimes avaient pris le mauvais chemin et le tireur
n'avait pas été avisé de la décision de les laisser partir.
Dès qu'ils ont franchi une ligne de démarcation, le tireur « les a
abattus tout de suite », raconte le soldat. « Les vies des Palestiniens
sont, disons, quelque chose de beaucoup, beaucoup moins important que
la vie de nos soldats », admet-il.
Selon AFP, le directeur de l'académie, Dany Zamir, a déclaré à la radio
publique qu'il s'agissait de « témoignages très durs sur des tirs
injustifiés contre des civils, de destructions de biens qui dénotent
une atmosphère dans laquelle on se croit permis d'utiliser la force
sans restriction contre les Palestiniens ».
M. Zamir dit avoir informé le chef d'état-major de l'armée israélienne,
Gabi Ashkenazi, de ses craintes au sujet d'une perte de sens moral au
sein des troupes israéliennes. Le général Ashkenazi a requis et obtenu
une transcription des témoignages. Un responsable de la formation au
sein de l'armée israélienne dit que l'armée n'était pas au courant des
histoires rapportées, mais que les témoignages feront l'objet d'une
enquête.
Un commentateur du quotidien est d'avis que l'armée a intérêt à faire
preuve de diligence dans ce dossier. « Quand les témoignages ne
viennent que de témoins palestiniens ou de la "presse hostile", il est
possible de les écarter en les accusant d'être de la propagande au
profit de l'ennemi. Mais que pouvons-nous faire quand ce sont des
soldats qui racontent l'histoire? », écrit Amos Harel.
Interrogé sur les ondes de la radio publique, le ministre de la
Défense, Ehoud Barak, a confirmé qu'une enquête était en cours. Il a
néanmoins défendu l'armée. « L'armée israélienne est la plus morale du
monde, et je sais de quoi je parle, car je sais ce qui s'est passé en
ex-Yougoslavie, en Afghanistan, en Irak. [...] Bien sûr, il peut y
avoir des exceptions et tout ce qui a pu être dit va être vérifié. »
L'offensive israélienne, lancée dans le but officiel de faire cesser
les tirs de roquettes en provenance de la bande de Gaza, a fait plus de
1300 morts, dont plus de 400 enfants, et 5000 blessés, selon un bilan
fourni par les services médicaux palestiniens. Israël déplore 13 morts.
Radio-Canada.ca avec
Agence France Presse et Haaretz